« Forêt obscure de Nicole Krauss » : une désorientation réjouissante

9 décembre 2018

Les deux personnages que Nicole Krauss met en scène dans son livre vont faire le même voyage entre l’Amérique et Israël en quête de leur propre vérité. Jules Epstein est un millionnaire juif new-yorkais. Passionné d’art, il a toujours été « au sommet de tout ». Soudain, après la mort de son père, il décide d’en finir avec son passé et de se dépouiller de ses biens. Il disparait, sans explication pour se retrouver à Tel-Aviv. Pour se défaire de son passé ? Certainement. Pour racheter la mémoire des victimes de la Shoah ? Certainement aussi, comme le laisse entendre sa volonté de consacrer sa fortune à la plantation de millions d’arbres dans le désert. Pour retrouver le sens du sacré, disparu depuis longtemps des terres américaines ? C’est bien probable. N’est-il pas d’ailleurs convié à une réunion des descendants du roi David ?  L’autre personnage, c’est NicoleNicole Krauss elle-même ? Qui sait ? -, une romancière de Brooklyn de renommée internationale, en pleine crise conjugale et en panne d’inspiration. Elle décide de quitter sa famille et de se rendre à Tel-Aviv – comme Epstein – avant de s’installer à l’Hôtel Hilton où elle a été conçue au lendemain de la guerre du Kippour. C’est le Hilton qui réunit les deux personnages, sans que nous sachions s’ils y sont au même moment ou à des périodes différentes. En tous cas, ils vont vivre des histoires qui n’ont rien de commun sauf leur plongée fantasmagorique, mystérieuse et cocasse, voire hilarante dans leur quête existentielle. La romancière est alors approchée par l’énigmatique professeur Eliezer, selon lequel, Kafka – oui Kafka le grand écrivain – ne serait pas mort dans un sanatorium autrichien en 1924, à 40 ans, mais aurait clandestinement émigré en octobre 1923 en Palestine. Installé dans un kibboutz près de la mer de Galilée, Kafka aurait trouvé l’apaisement en travaillant comme jardinier. Cette métamorphose, Eliezer veut que Nicole en fasse un roman afin de « façonner par la fiction » un autre visage de Kafka. Forêt obscure progresse par à-coups désordonnés entre les limites du réel et de la fiction, entre l’anecdotique et le métaphysique, entre l’appréhension et l’humour, dans un dédale à la Borges ou à la Garcia Marquez. Un livre scintillant où le suspens le dispute au romanesque. Inoubliable.

Forêt obscure (Forest Dark)
de Nicole Krauss
Ed. L’Olivier – 2018

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