28 janvier 2019
Photo AlloCiné
Le film de Peter Farrelly décrit la rencontre improbable entre deux personnages qui n’auraient jamais pu se croiser. Par une succession de hasards, Tony Lip (Viggo Mortensen) est chargé de conduire et d’accompagner un pianiste de jazz de renommée mondiale, dans sa tournée aux États-Unis. Jusque-là rien d’extraordinaire, sinon que Tony est un modeste italo-américain du Bronx et que le pianiste Don Shirley (Mahershala Ali) est noir et cultivé. De plus, la tournée en question se déroule en 1932 dans le Sud ségrégationniste. On a compris, tout se joue dans des relations binaires : les Noirs et les Blancs, la classe supérieure éduquée et riche et les classes populaires pauvres, le Nord et le Sud, la belle langue châtiée du pianiste et la trivialité langagière de Tony, les motels sordides réservés au Noirs et les demeures luxueuses des aristocrates. Mais là où les barrières vont tomber, c’est précisément dans les liens qui se tissent peu à peu au fil des étapes de ce road movie musical et plein d’humour. Les deux protagonistes vont se rapprocher l’un de l’autre, vont se mesurer, se disputer, s’apprivoiser. Une certaine complicité s’installe alors entre eux. Ils vont s’influencer, se comprendre, enfin s’aimer. Ce magistral ballet à deux, où l’un découvre et accueille l’autre, se joue sur un territoire où au contraire, les barrières, les incompréhensions et les préjugés perdurent. On accepte en effet que le musicien divertisse les Blancs du Sud, mais il n’a pas le droit de dîner dans les mêmes restaurants que les Blancs, ni de loger dans les mêmes hôtels. Le titre du film Green Book se réfère justement au guide de voyage et de tourisme listant les établissements dans lesquels les Noirs pouvaient séjourner. Dans le Sud on ne sert pas les Noirs, les policiers les arrêtent sans raison… pas dans le Nord. Tony et Don émergent de cet univers de haine pour se soutenir et s’aider l’un l’autre, sans rien attendre en retour. Tony apporte son service de chauffeur à Don, mais il le protège aussi, le secourt dans ses moments de vulnérabilité. De son côté, Don aide Tony à écrire de belles lettres à sa femme, à apprendre les belles manières, à découvrir la beauté de la musique, le respect de l’environnement… Nous sommes ici dans un film qui aurait bien pu s’appuyer sur la pensée d’Emmanuel Levinas. Nous sommes dans cette relation à l’autre où chacun répond à l’appel de l’autre, où la vulnérabilité de l’un commande de lui venir en aide. Cette découverte de l’autre au cours de laquelle s’expriment la compréhension, la bienveillance et le don permettra à Tony et Don de transcender leurs difficultés et leur solitude. Car tels sont ces enjeux. Tony vit dans un monde fermé sur lui-même, de condition modeste, peu éduqué et passablement xénophobe. La présence de Don, son influence, son soutien vont lui ouvrir les yeux, le sortir de son enfermement culturel et social. De son côté Don vit une souffrance insupportable de se savoir être de nulle part et qu’il exprime avec violence, directement à Tony : il n’est « pas assez blanc », malgré son éducation et ses compétences musicales, pour être accepté par les Blancs. Il n’est « pas assez noir », pour se sentir membre à part entière de la communauté noire. Et il n’est « pas assez homme » non plus, son homosexualité ne faisant qu’accroître sa souffrance. Par l’attention qu’il lui porte, par le soin qu’il lui prodigue, Tony va redonner à Don un nouveau sens à sa vie. Il va lui permettre de réintégrer la société de ses frères de race et d’être accepté dans la famille de Tony. Green Book, un film porté par des comédiens remarquables où l’on retrouve la veine des frères Dardenne et leur souci de l’éthique.
« Green Book, sur les routes du Sud »
de Peter Farrelly avec Viggo Mortensen et Mahershala Ali – USA 2018
En salles depuis le 23 janvier 2019
Disponible en DVD et Blu-ray
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