11 novembre 2019
Photo : rueducine
En 1964, John Ford signe l’un de ses plus remarquables westerns. Serein, pacifié et humain. Il décrit la longue marche d’une tribu Cheyenne, depuis la réserve qui leur a été attribuée jusqu’à la terre d’où ils avaient été chassés, leur mère patrie, dans le Dakota. Tout au long de cette traversée, épuisés, malades et affamés, ils sont pourchassés avec brutalité par la cavalerie qui veut à tout prix les ramener à leur réserve. Le capitaine Thomas Archer (Richard Widmark), plein d’humanité à leur égard essaiera de les assister tant bien que mal, tout en restant cependant tenu par son devoir de soldat. Est-il le miroir de John Ford, lui-même toujours indigné par le sort que l’Amérique a réservé aux Indiens ? Cette longue marche des Cheyennes à travers le territoire américain ne serait-elle pas une allégorie de la traversée du désert par le peuple de Moïse fuyant les armées du Pharaon, un « Exodus » comme il y en eu tellement dans l’histoire de l’humanité ? On pense aussi au film Les Raisins de la colère dans lequel John Ford dépeint la migration de familles fuyant la misère. On retrouve ici un Ford catholique, pétri de références bibliques. Alors qu’il venait d’être informé par Archer des conditions dramatiques dans lesquelles les Indiens étaient enfermés à Fort Robinson, Carl Schurz (Edward G. Robinson), le secrétaire d’Etat à l’intérieur, implore dans une attitude quasi-christique face au portrait de Lincoln, « Vieil ami, que ferais-tu ? »
L’arrière plan de ce terrible parcours, c’est la nature. John Ford, comme à son habitude, filme avec magie Monument Valley, les montagnes, les tempêtes de sable ou les étendues neigeuses du Wyoming. Il donne ainsi à cet exode une dimension mystique et cosmique. Sur ce fond d’espaces majestueux à couper le souffle, John Ford libère un peu le spectateur de cette force tellurique qui pèse sur lui, notamment lorsqu’il le transporte à Dodge City. On y voit le shérif Wyatt Earp, interprété par un James Stewart facétieux et flegmatique, jouant aux cartes avec Doc Holliday et ne s’intéressant nullement à une arrivée probable des Indiens. Le maire de la ville, complètement paniqué, décide d’envoyer un convoi à leur poursuite qui se termine finalement en véritable mascarade guignolesque. Dans ce moment de liberté, John Ford veut nous signifier la désinvolture et l’intolérance de cette société des petites villes de l’Amérique profonde à l’égard des minorités. Humour encore, lorsque Schurz offre un cigare aux deux chefs indiens pour remplacer le tabac manquant du calumet de la paix. Ne serait-ce pas là encore un signe de condescendance, annonciateur de la disparition des traditions et le commencement d’une « nouvelle coutume » comme le dit effectivement Schurz ? Quoi qu’il en soit, voilà un film généreux par la passion que nous offre John Ford ; bouleversant par la souffrance que ces Cheyennes ont vécue ; grandiose par la beauté des paysages. Un western 5 étoiles.
Les Cheyennes
John Ford
USA – 1964
Disponible en DVD et Blu-ray
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