« There Will Be Blood » : Sans Foi et sans Loi

28 février 2021


Photo : Cinenode

Le film de Paul Thomas Anderson, tiré du roman d’Upton Sinclair, Oil ! paru en 1927, porte sur cette période faste que connut l’Amérique dans la recherche et l’exploitation de gisements de pétrole.
Accompagné de son jeune fils, le prospecteur Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis) se rend en Californie à la recherche de pétrole. Il rachète des terres aux fermiers et entreprend des forages là où bientôt jaillira l’or noir. Les premières images le montre, sans paroles mais avec la musique stridente de Jonny Greenwood, seul dans son acharnement à creuser et à creuser sans cesse.
Tout au long du film, les tours qui surmontent les puits sont la métaphore de la puissance entrepreneuriale de Daniel Plainview. Elles ponctuent les séquences jusqu’à l’explosion de celle d’où gicle le pétrole. Dans des images nocturnes intenses, la tour s’effondre en flammes, signe qui mènera Plainview à l’apogée de sa réussite, mais aussi peut-être annonciateur de sa probable déchéance. La verticalité des tours et des derricks qui se multiplient dans le paysage au fur et à mesure de l’expansion de l’entreprise, souligne elle aussi le pouvoir et la domination de Plainview. Mais c’est d’un pouvoir solitaire, dans un paysage désertique dévasté qu’il s’agit ici. De nombreux plans, de très gros plans même, nous montrent un Plainview souvent seul, encadré par les fenêtres de sa baraque, dans un environnement où seules quelques silhouettes d’ouvriers ou de prospecteurs apparaissent immobiles, à la façon d’un tableau d’Edward Hopper.
À cette solitude et cette désolation environnementale s’opposent les séquences, filmées en plongée, des fermiers avec leurs familles à partir du regard de Plainview. Ces quelques magnifiques plans marquent encore la marche vers le pouvoir du pétrolier mais aussi son hypocrisie et ses mensonges, lorsqu’il leur promet du blé, du pain et l’éducation des enfants.
Paul Thomas Anderson décrit avec virtuosité, comme dans un documentaire spectaculaire, les difficultés de forage, les accidents et les explosions, la construction d’un pipe-line, dans le bruit sec et assourdissant des derricks et des tiges de forage s’enfonçant dans la boue. Il dépeint avec une violence extrême, les rapports de haine ambigus entre l’intégrisme religieux et la rapacité entrepreneuriale.
Plainview, mécréant, misanthrope et prédateur sans scrupule est la figure d’un capitalisme sauvage sans limite. Dans son obsession à devenir le « Dieu » du pétrole, il va se confronter à un pasteur illuminé et fanatique, Éli Sunday (Paul Dano), fondateur de l’Église de la « troisième révélation ». Ce dernier est en fait un faux prophète, cupide et tyrannique, qui manipule les fidèles en pratiquant l’imposition des mains et les exorcismes. Comme dans cette séquence à l’église, d’une bigoterie grotesque, où Éli s’empare de l’arthrite d’une femme âgée et l’expédie à l’extérieur, au milieu d’une assistance béate d’émotion. Heurté par les péchés et les promesses non tenues de Plainview, Éli incite ce dernier à se faire baptiser, condition nécessaire à l’acquisition d’un terrain pour construire un pipeline. C’est l’une des scènes majeures du film, d’une extrême violence, qui se retourne en quelque sorte en son contraire dans la séquence finale, là où la violence atteint son paroxysme. En effet, Plainview force le pasteur à reconnaitre qu’il est un faux prophète et que Dieu n’est qu’une superstition. « I am a false prophet ! God is a superstition », répète Éli, trois fois en criant. Le sang sera versé, comme le dit le titre du film en référence au verset de la Genèse qui annonce la première plaie d’Egypte. L’affrontement des deux hommes se terminera tragiquement. Le sang coulera sur cette terre meurtrie et infestée par les péchés du prédicateur illuminé et la folie destructrice de Plainview. « J’ai fini » dit Plainview à son majordome dans la dernière image, après avoir fracassé la tête d’Éli avec une quille de billard. Une dernière scène où se déchaîne la violence, dans une succession de plans saccadés. Un film d’une noirceur abyssale… et grandiose. 

There Will Be Blood
Paul Thomas Anderson
USA – 2007
Avec Daniel Day-Lewis et Paul Dano
Musique de Jonny Greenwood
Disponible en DVD et Blu-ray

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