« Bigamie » Une dualité au carré

14 août 2022


Photo : AlloCiné

Bigamie, réalisé par Ida Lupino en 1953, est un film aux caractéristiques hollywoodiennes des plus classiques mais sans leur glamour habituel. C’est aussi un film noir sans l’aspect spectaculaire qui lui est propre. Tout se joue dans la dualité ou dans l’opposition entre des personnages, des situations, comme dans un jeu de miroirs déformants.
Harry (Edmond O’Bien) et Eve (Joan Fontaine) forment un couple apparemment aimant, mais on sent bien qu’il s’agit là d’une façade qui cache sa lente désagrégation. Eve ne peut pas avoir d’enfant. Son besoin de maternité frustré l’entraîne dans une course entrepreneuriale mensongère schizophrénique. Schizophrénique l’est aussi le parcours de Harry. Il se sent délaissé, il vit à San Francisco avec Eve mais travaille à Los Angeles où il passe la moitié de son temps. C’est là qu’il rencontre Phyllis (Ida Lupino). Il en tombe amoureux et envisage de l’épouser. De son côté, Eve décide finalement de lancer une procédure d’adoption ce qui fait revenir Harry au foyer. Pas pour longtemps car Phyllis est enceinte et Harry ne peut pas l’abandonner. Contraint et forcé, il l’épouse et cherche ainsi à échapper à la dualité schizophrénique de sa situation. Il se retrouve bigame et passible de poursuites judiciaires.
La mise en scène d’Ida Lupino décortique parfaitement les imbrications de ces dualités contrastées. Harry est marié à deux femmes et vit dans deux lieux différents. Eve, ne pouvant avoir d’enfant, se réfugie dans l’activité professionnelle et finalement accepte l’adoption. Phyllis refoule son attraction amoureuse lorsqu’elle apprend que Harry vit avec une autre femme, puis retrouve sa passion lorsque Harry lui propose de l’épouser. Ces jeux de miroirs sont bien le signe des films noirs. Mais ici, c’est un film noir pas tout à fait noir.
Tout au long du récit, en voix off, Harry décrit au passé son parcours, que le spectateur voit à l’écran. On suit les investigations de l’enquêteur de l’agence d’adoption avec suspense jusqu’au moment où il découvre le « crime » de bigamie. Là où le héros aurait été représenté en affreux malfrat, façon Hollywood, Ida Lupino fait de Harry un homme mélancolique, fragile et solitaire, toujours déterminé par les autres et les contraintes sociales. Comme l’est d’ailleurs Eve, dans son besoin de fonder une famille. Comme l’est également Phyllis dans son besoin d’autonomie. Les personnages d’Ida Lupino ne sont jamais libres de leurs choix et font ce que la situation leur impose. L’apparition de l’amour aussi est à l’opposé des codes hollywoodiens. Harry aime profondément Eve, discrètement en silence. Sa rencontre avec Phyllis ne relève en rien de la drague viriliste. L’amour arrive peu à peu, par le dialogue, par une connaissance réciproque. La scène du car montre bien la façon de faire d’Ida Lupino. Harry se rapproche doucement du siège où Phyllis est assise, s’assoie près d’elle et engage un dialogue simple et serein. Des moments vrais que la fin du film hélas contredira quand les deux femmes porteront sur Harry devant ses juges, un regard emprunt de désespoir, de tristesse… et d’amour.

Bigamie
Ida Lupino

USA – 1953
Avec Edmond O’Brien, Joan Fontaine et Ida Lupino
Disponible en DVD et Blu-ray

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