« Two Lovers » : Amour fou, amour sage

19 août 2022


Photo : Première

Toutes les couleurs de l’amour. C’est bien ce que l’on peut voir dans Two Lovers, le film de James Gray tourné en 2008. Leonard (Joaquim Phoenix) est un jeune homme dévasté par l’impossibilité d’épouser celle qu’il aimait pour des raisons médicales. Dès l’ouverture du film, dans une scène d’une infinie tristesse, la caméra suit en plan rapproché, le pas lent de Leonard se dirigeant vers l’eau. Il est repêché, et trempé il retourne chez ses parents qui, sans rien dire, devinent qu’il a encore fait une tentative de suicide. La sobriété de la mise en scène, le regard bienveillant et protecteur de la mère Ruth (magnifique Isabella Rossellini) en disent long sur l’amour qu’elle porte à son fils. Une fois séché et changé, il accepte d’être présent au diner où viendront tous les membres de la famille Cohen qui envisage de racheter l’entreprise du père de Leonard. Un lien de sympathie et de séduction se noue entre la fille ainée Sandra Cohen (Vinessa Shaw) et Leonard. C’était bien le souhait des deux familles. Un amour sage va naitre entre les deux jeunes gens, encadré par la tradition familiale, un amour sincère, profond en vue d’un mariage quelque peu arrangé cependant.

Ce n’est pas de cet amour là qu’il sera question, lorsque plus tard, Leonard rencontre la belle Michelle (Gwyneth Paltrow) dans les escaliers de son immeuble. C’est le coup de foudre. Un amour vagabond s’installe entre eux. Un amour sans limite, au grand air, libre de toutes contraintes, ouvert au vent des incertitudes. Leonard et Michelle dialoguent amoureusement sur le toit de la terrasse de l’immeuble, à l’air libre, où ils se rencontrent à plusieurs reprises. C’est dans un cabaret qu’ils se déchainent en dansant. Mais c’est aussi un amour à distance, comme un jeu à deux. C’est un plaisir de voir comment la caméra filme les contorsions de Leonard lorsqu’il suit, sans en avoir l’air, Michelle dans le métro. Les voici communiquant depuis leurs fenêtres respectives, en champ/contrechamp, elle plongeant son regard vers Leonard, lui, en contre-plongée avec son appareil photo, pour « attirer son attention » dit-il. Car il faut le rappeler, Leonard s’exerce à la photographie pour oublier ses douleurs passées. Et c’est depuis sa fenêtre que Michelle lui dévoile ses seins comme une photographie traversant la cour de l’immeuble. Amour libre, à distance mais aussi peut-être amour secret, camouflé. La famille n’en sait rien. L’amant de Michelle, Ronald (Elias Koteas), marié et père de famille ne se doute de rien. C’est caché derrière une porte de la chambre d’hôpital où Michelle a été admise à la suite d’une fausse-couche, que Leonard attend le départ de Ronald pour lui tracer sur le bras un délicat « je t’aime ».

Tout le contraire des liens de Léonard avec Sandra. Ici tout est codifié, encadré par les règles traditionnelles des familles. Et par la promesse d’un mariage prochain signifié par les gants que Sandra offre à Leonard, sur la plage. À cette exception près, tout se passe en intérieur, dans les milieux feutrés des appartements ou des bureaux. Amoureux de Sandra, Leonard ne peut résister à sa passion pour Michelle. Et Michelle elle, accepte de partir avec lui, d’autant plus que Ronald n’est pas prêt de divorcer. Tous deux préparent leur fuite et Leonard, en pleine soirée de Nouvel An, cherche à s’esquiver. Il est surpris par sa mère et lui apprend la vérité. Encore une admirable séquence d’intense émotion où Ruth n’empêche nullement son fils de partir et lui demande seulement de lui dire qu’il est heureux. Quelle belle confrontation que cette amour maternel, plein de douceur, face à l’amour fou et urgent de Leonard !

Mais la fuite n’aura pas lieu. Ronald décide finalement de divorcer et d’abandonner sa famille. Michelle se voit contrainte de le suivre. Fin de la fougue amoureuse. Dévasté, le visage en larmes, Leonard se dirige à nouveau vers la plage, avec la même lenteur qu’à l’ouverture du film. Alors qu’il vient de jeter dans un geste de colère, la bague promise à Michelle, il revoit le gant que Sandra lui avait offert. Son visage reprend vie peu à peu et il décide de retourner vers sa famille. La caméra saisit en plan rapproché le  regard triangulaire sobre et silencieux échangé entre Léonard, Ruth et Sandra laissant deviner un bonheur retrouvé. Leonard enlace Sandra et, en larmes, lui enfile la bague récupérée. Une nouvelle voie s’ouvre pour Leonard, une voie dont il a grand besoin pour pour résoudre son déséquilibre et ses ambivalences amoureuses. Avec élégance et raffinement, James Gray conclut son film sur l’impossibilité d’un amour fou, d’un amour déviant. Il ne reste plus qu’à se conformer aux normes. La folie n’a qu’un temps. La sagesse – ou la raison – reprend ses droits. Hélas, serait-on tenté de dire !

Two Lovers
James Gray

USA – 2008
Avec Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Vinessa Shaw, Elias Koteas et Isabella Rossellini
Disponible en DVD et Blu-ray
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