8 novembre 2022
Photo : AlloCiné
Quelle femme modèle, quelle maitresse de maison exemplaire, quelle mère de famille, élégante et dévouée que cette Cathy Whitaker (parfaite Julianne Moore). Mais jusqu’à quand ? Comment cette image du bonheur façon American Way of Life va se fracturer face à l’hypocrisie et aux conventions sociales. C’est la lente métamorphose de cette femme que Todd Haynes nous dévoile, étape par étape, dans ce magnifique, subtil et émouvant Loin du paradis. Fin des années 1950, Cathy Whitaker vit avec son mari Frank (Dennis Quaid) homme d’affaires respecté et ses deux enfants dans une splendide villa entourée de son jardin fleuri. Elle est interviewée par la gazette locale comme l’admirable maîtresse de maison qu’elle est. La vie semble ainsi s’écouler dans une harmonie et un bonheur sans égal dans un cadre résidentiel merveilleux. On est ébloui par l’éclat des couleurs. Le rouge, l’ocre, l’oranger, sont de tous les plans. Cathy et ses amies dans le jardin, échangent des propos intimes et portent d’élégantes robes rouges et oranges comme sorties d’un défilé de mode haute couture. Les érables éclatants et l’ocre des feuilles mortes de l’automne envahissent l’écran. Est-ce l’annonce d’une fin prochaine, la fin de l’insouciance ? La musique composée par Elmer Bernstein semble le confirmer et vient ponctuer les étapes de l’effritement de ce bonheur apparent.
Voici que Cathy découvre que son mari est homosexuel. Elle essaye bien de l’aider à se défaire de cette « maladie », sans succès. Frank poursuivra sa route, en butte aux préjugés homophobes caractéristiques de ces années là. Cathy, elle, se résigne.
Mais elle ne se laissera pas aller ! Elle ira se réconforter auprès de Raymond (Dennis Heysbert) son jardinier, un noir, un homme affable et cultivé. Lorsque se promenant dans son jardin, Cathy perd son foulard mauve, emporté par le vent, c’est Raymond qui le lui rend. Dans ce plan d’une grande délicatesse, on voit poindre entre les deux personnages, le début d’un sentiment amoureux. Leurs rencontres se poursuivront. On les voit ensemble lors d’une exposition dans une galerie admirant une toile de Miró. Ils dinent dans un restaurant dont la clientèle est exclusivement noire. Les préjugés sont là encore présents. La caméra filme en travelling le public du restaurant, incrédule, face à ce qui pourrait être une provocation. Mais c’est la ville entière qui exprime sa désapprobation. Des regards hypocrites, de haine retenue se portent sur eux dans des plans qui attestent le racisme de toute la société. Même la meilleure amie de Cathy lui claque la porte au nez, comme une métaphore de toute la lâcheté de la population.
C’est d’ailleurs dans des relations binaires que se structurent les deux axes du film. Cathy et Raymond comme pôle qui coagule le racisme, Cathy et Frank comme pivot autour duquel l’homophobie s’exprime. C’est dans l’impossibilité de tenir la dualité de ces liens, dans la souffrance nécessaire de leur rupture que Cathy largue les amarres et devient une femme libre, pour un nouveau départ. Pour un nouveau printemps, comme les fleurs blanches du dernier plan le suggèrent.
Loin du paradis
Todd Haynes
USA/France – 2002
Avec Julianne Moore, Dennis Haysbert, Dennis Quaid
Musique : Elmer Bernstein
Disponible en DVD et Blu-ray
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