« Dancing Pina » : La relève

30 avril 2023


Photo : Dulac Distribution

Dancing Pina n’est pas un film sur la danse. Il est la danse lui-même. Il est l’art à lui tout seul. Il est l’émergence de la danse et l’expression de sa création. Il est son inspiration. Ses émotions. Sa transcendance et ses traces. Le documentariste Florian Heinzen-Ziob est allé s’immerger dans les oeuvres de Pina Bausch pour saisir la quintessence de deux de ses chorégraphies : Iphigénie en Tauride et Le sacre du printemps. Dans un va et vient bien équilibré, on assiste aux répétitions des deux ballets. Le premier, oeuvre de Gluck doit être représenté au Semperoper de Dresde et celui, mythique, de Stravinsky à Dakar et dans plusieurs villes du monde.

Malou Airaudo, énergique ancienne danseuse du Tanztheater de Wuppertal est là pour préparer la représentation du Semperoper. Avec quelle minutie et quelle précision elle fait travailler son rôle à la danseuse Sangeun Lee. Les séquences de répétition, souvent filmées au plus près des corps, montrent comment l’esprit de la danse de Pina Bausch s’insère dans le travail et les efforts des danseurs. Comment l’esprit Pina s’attache peu à la perfection technique des mouvements ou des corps. Comment la danse de Pina laisse transparaître avant tout la personnalité profonde des danseurs. Et comment, au-delà de l’apprentissage, une métamorphose se crée, des danseurs d’abord tout en restant eux-mêmes et de l’oeuvre ensuite toujours fidèle à l’esprit Pina.

Pendant que la chorégraphie d’Iphigénie en Tauride prend forme à Dresde, à quelques milliers de kilomètres de là, à Dakar, d’autres danseurs et danseuses, venues de plusieurs pays africains répètent Le sacre du printemps sous la conduite de Jo Ann Endicott. Elle aussi est une ancienne danseuse du Tanztheater de Wuppertal qui pendant près de 40 ans a interprété plusieurs oeuvres de Pina Bausch. C’est elle qui, répétition après répétition, va progressivement leur transmettre l’héritage de Pina. Tous ces danseurs se retrouvent non loin de Dakar, dans l’École des Sables, plantée en pleine nature, face à la mer, fondée et animée par Germaine Acogny. On retrouve ici encore, le travail acharné et harassant de ces jeunes artistes. Ils répètent les gestes et les mouvements pour apprendre et s’approprier la forme et l’esprit de cette danse plutôt éloignée de leur univers culturel. Les regards des danseurs, réjouis et anxieux à la fois ; les sauts des danseurs, précis et puissants; et ces quatre danseurs répétant à la nuit tombée au bord de l’eau sont autant de moments de grâce inoubliables.

La gestuelle des danseurs de l’Opéra de Dresde est tout aussi inoubliable, différente certes de celle des artistes de Dakar, mais toutes deux ont en commun la force et l’évidence de l’approche chorégraphique de Pina Bausch. Florian Heinzen-Ziob nous ramène en Allemagne et dans le faste du Semperoper. Les contrastes avec l’École des Sables sont saisissants : luxe et dorures à Dresde, espace et nature à Dakar. Sur scène, dans un décor sobre et élégant Sangeun et les autres danseurs interprètent Iphigénie en Tauride. Dans leurs amples robes blanches se détachant sur un fond sombre, dans un style graphique, elles magnifient avec le plus grand raffinement, la chorégraphie de Pina Bauch et perpétuent ainsi l’héritage que leur a transmis Malou Airaudo. Comme on aurait aimé que la caméra s’attarde sur cette séquence bien plus longuement !

L’énergie qui se déploie à Dakar, la joie des danseurs, nous émeuvent jusqu’au moment incandescent où Luciény, Gloria, Franne et les autres danseurs africains nous emportent dans ce transcendant Sacre du printemps. Faute de pouvoir le jouer à Dakar pour cause de Covid c’est à l’École des Sables même, sur le sable, face à la mer, au son d’un enregistrement et sans public, que les danseurs font alors la preuve de leur maîtrise et de leur capacité à s’approprier l’esprit de Pina Bausch. La magie commence alors avec les premières mesures du Sacre et les premiers pas marchés des danseurs et des danseuses. C’est une explosion de beauté qui se déroule sur le sable ocre, au bord de l’eau, au soleil couchant, comme dans une salle de spectacle en lien avec la nature. La puissance de la musique se mêle à celle de la danse. La terre et la nature entrent en résonance, tellurique en quelque sorte, avec le printemps du Sacre. Bouleversant et magique !

Dancing Pina
Florian Heinzen-Ziob
Allemagne – 2022
Chorégraphie de Pina Bausch
Musique : Igor Stravinsky, Christoph Willibald Gluck
Avec Malou Airaudo, Josephine Ann Endicott
En salle depuis le 12 avril 2023
Disponible en DVD et Blu-ray

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