« Tant qu’il y aura des hommes » Cinéma, guerre et humanisme

21 octobre 2024


Photo : SensCritique

Pourrait-on citer le titre de la pièce de Pirandello « Six personnages en quête d’auteur » pour caractériser Tant qu’il y aura des hommes de Fred Zinnemann ? En effet, nous avons bien ici six personnages mais qui cherchent leur auteur pourrait-on dire. 

Cela se passe dans une base militaire américaine à Hawaï à la veille de l’attaque de Pearl Harbor. Le jeune soldat Prewitt (Montgomery Clift) est affecté à la base dirigée par le capitaine Holmes (Philip Ober) et l’adjudant Warden (Burt Lancaster). Il se lie d’amitié avec Maggio (Frank Sinatra), un joyeux luron, provocateur et grande gueule. Prewitt est un ancien boxeur qui a eu la malchance de rendre aveugle l’ami avec lequel il s’entraînait. Le sachant boxeur émérite, le capitaine lui propose de faire partie de l’équipe de boxe de la base et l’incite à combattre pour la gloire du régiment. Mais Prewitt refuse obstinément, fidèle à son voeu de ne plus jamais boxer. On le provoque, il esquive les coups, et finit cependant par mettre KO son adversaire, sous le regard satisfait du capitaine. Prewitt est un homme de principes et de convictions. Il ne supporte pas les injustices et les brimades des autres soldats. Il refuse de s’excuser, lorsque, exécutant les peines qui lui sont infligées, un gradé lui fait un croche-pied ou renverse un seau d’eau sur le sol qu’il était en train de nettoyer. Il s’oppose ainsi à l’institution militaire, à l’obéissance et à la discipline exigées d’un soldat. Sous ses dehors de héros contestataire, Prewitt est un homme fragile, vivant les injustices comme une souffrance. C’est lorsqu’il joue du clairon que le spectateur ressentira cette souffrance. À un moment il se saisit du clairon et joue, dans un bar, devant ses camarades dans une attitude tendue, exprimant force et souffrance à la fois. Mais c’est évidemment dans l’une des scènes cultes du film que ses sentiments s’expriment le mieux. Son ami Maggio qui le soutient dans son refus des injustices, s’échappe de la base alors qu’il était de garde. La sanction ne se fait pas attendre. Il est envoyé chez le chef de la police militaire, le sergent James « Fatso » Rudson (Ernest Borgnine, fascinant), sadique et tortionnaire et accessoirement pianiste du bar. Fatso n’attendait que cela, car peu avant Maggio s’était moqué de lui en le traitant de mauvais pianiste. Soumis à des brimades et à des tortures, Maggio, s’enfuit, blessé et meurt dans les bras de Prewitt et Warden.

Il faut dire que le film de Fred Zinnemann ne raconte aucune histoire. C’est plus un succession de scènes sur la vie quotidienne d’un régiment dans une base juste avant que n’éclate la deuxième guerre moniale. Au-delà, c’est un regard critique de la caméra sur l’institution militaire qui ne manque pas de condamner les effets délétères voire mortifères de l’armée sur la vie des soldats. On a vu comment Prewitt était humilié; comment Maggio, torturé par la police militaire, expire près de son ami. Au milieu du camp, le soir, Prewitt se saisit de son clairon et interprète la sonnerie aux morts pour son ami Maggio. Quelle tension, quelle émotion, quelle fragilité et quelle souffrance envahissent Prewitt, le visage débordant de larmes. Toute la base écoute, plongée dans un silence poignant. A moitié éclairé par la lueur de la lune, l’adjudant Warden lui aussi écoute. Sur son visage, on devine l’expression d’un sentiment de sympathie pour Prewitt, voire même, d’affection. Par cette scène et quelques autres, Fred Zinnemann veut prouver que les « hommes de guerre » – du moins certains de son film – ne sont pas des brutes et que derrière leur apparente virilité, la sensibilité aux autres, les sentiments humains sont inscrits dans leur nature.

Tous les personnages principaux du film évoluent dans des chassés-croisés qui structurent le récit. Dans la plupart des séquences ils avancent par paire, forment des duos pourrait-on dire. Prewitt et Maggio, liés par l’amitié et le soutien mutuel. Prewitt ira d’ailleurs venger son ami en tuant le sadique Fatso, formant un duo maléfique celui-là. Prewitt et Warden, respectueux l’un vers l’autre et unis dans des sentiments de sympathie, malgré des pointes de dérision et d’ironie émaillant leur relation. On peut revoir à ce propos – encore une scène culte – Warden et Prewitt, complètement ivres, assis au bord d’une route, ressasser leur solitude et leurs tourments, là où justement Maggio venait mourir.

Deux femmes viennent compléter le tableau : Karen (Deborah Kerr), la femme du capitaine et Lorene (Donna Reed) la compagne de Prewitt. Le cinéaste ne leur accorde pas un rôle majeur, mais leur présence dans le film enrichit l’humanité des personnages. Ainsi en est-il des couples Prewitt/Lorene et Warden/Karen. Karen et Warden tissent une relation adultérine dont la rencontre des corps, baignés par les vagues, d’une sensualité torride, atteste l’impossibilité de leur amour. C’est là encore la scène culte que le monde entier aura admirée. Avec Lorene, c’est la raison qui l’emporte dans son amour pour Prewitt. Alors que celui-ci, blessé, déserte après avoir tué Fatso, il n’a qu’une seule idée, rejoindre ses compagnons de combat lors de l’attaque de Pearl Harbor. Lorene le supplie de rester et cherche à le convaincre de retourner aux Etats-Unis où ils pourront se marier et avoir une vie rangée. Mais Prewitt meurt, tué accidentellement par ses camarades. La dernière séquence d’une immense mélancolie, laisse voir les deux femmes côte-à-côte sur un bateau retournant aux USA, le regard perdu sur les colliers de fleurs jetés dans la mer.

Classique jusqu’au bout de la pellicule, le film est traversé par les préoccupations qui doivent certainement tenailler Fred Zinnemann : la justice, le courage, le respect de la dignité humaine… mais aussi le pouvoir démesuré et mortifère de l’armée. Des personnages émouvants et d’une grande sensibilité dans un grand film humaniste et universel.

Tant qu’il y aura des hommes
Fred Zinnemann
USA – 1953
Avec Burt Lancaster, Montgomery Clift, Deborah Kerr, Donna Reed, Frank Sinatra, Ernest Borgnine, Philip Ober
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Let’s Get Lost » : Chet Baker, lumière et noirceur

15 juillet 2024


Photo : Rolling Stone

En 1988, le photographe Bruce Weber réalise un film documentaire sur la vie et la carrière mouvementées de Chet Baker, le légendaire chanteur et trompettiste de jazz. Deux années auparavant, Weber avait souhaité faire une série de photos de Chet Baker, mais ce qui devait être un simple court métrage allait devenir un film de deux heures : Let’s Get Lost. Les partenaires musicaux, les ex-femmes, les enfants, la mère, les amis font le récit de moments de la vie du musicien. Chet Baker lui-même en est le témoin principal. Weber retrace deux moments de sa carrière de trompettiste. 

Tout d’abord, dans les années 1950 où Chet joue avec des géants du jazz comme Charlie Parker ou Gerry Mulligan. C’est alors un artiste virtuose, icône du Cool Jazz, idolâtré, beau et séduisant, à la carrure faisant palpiter le coeur des femmes. Une star à la James Dean ! On le voit dans des concerts, des extraits de films, des archives photographiques dont celles que William Claxton avait mises en boite lors de sessions d’enregistrement en 1953. On écoute les témoignages et les anecdotes le concernant, y compris les siens, sincères ou mensongers. Mais dans les années 1980, Chet Baker est un autre homme. Rongé par la drogue, gros plans sur son visage décharné et ridé et sa bouche édentée. Son existence se perd dans le naufrage tragique de sa fin en 1988, lorsqu’il se jette de la fenêtre de son hôtel, sans avoir pu assister à l’avant-première de Let’s Get Lost. 

Ces deux aspects de sa vie s’entre-croisent tout au long du film. Dans un noir et blanc quasi calligraphique, faisant penser aux photographies de la nature amazonienne de Sebastião Salgado, le film est tourné avec une grande liberté, un montage époustouflant, au rythme on ne peut plus jazzy de l’admirable bande-son. Et que d’émotion suspendue et de nostalgie lorsqu’à la fin du film Chet Baker entame Almost Blue.

Let’s Get Lost nous fait découvrir un Chet Baker complexe, contradictoire mais au charisme certain. Un être joueur et poseur, mystérieux et sauvage, lumineux et ténébreux, misanthrope et mondain tout à la fois. Un film plein d’énergie retenue et d’élégance comme l’est le jazz de la West Coast.

Let’s Get Lost
Film documentaire de Bruce Weber
USA – 1988
Disponible en DVD
Version 4K en salles depuis le 19 juin 2024

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« The Bikeriders » : La fin d’un mythe

1er juillet 2024


Photo : AlloCiné

Avec The Bikeriders, Jeff Nichols, dépeint l’épopée d’un gang de motards de Chicago dans les années 1970. Il introduit une démarche intéressante et originale dans la réalisation du film. En effet, des scènes montrent la présence d’un reporter photographiant ou interviewant des personnages, notamment Kathy, le rôle féminin principal. Le film d’ailleurs s’inspire du livre de photographies de Danny Lyon qui avait dans les années 60 photographié et enregistré les témoignages d’une bande de motards. 

Le photographe/reporter du film de Jeff Nichols refait à son tour le reportage que Danny Lion lui-même avait réalisé auprès d’un club de motards dans les années 1960. Jeff Nichols nous donne ainsi à voir, dans son écriture cinématographique particulière, le making off du travail de Danny Lyon. Le spectateur est emporté dans un film qui montre un reportage dans les années 70, en référence à un reportage des années 60. Une double mise en abyme en quelque sorte.

La présence du reporter favorise une lecture documentaire lui retirant ainsi sa dimension fictionnelle, ce qui a pour effet de déconstruire ce mythe américain et de ramener le film à une vision historico-sociologique des gangs de motards. À ce titre, on est loin du légendaire L’équipée sauvage (1953) de László Benedek avec Marlon Brando en chef de gang. On est loin également, mais dans un autre registre, de La fureur de vivre de Nicholas Ray (1955) ou du toujours légendaire Easy Rider (1969) de Dennis Hopper.

Si le film se veut en partie documentaire, il n’en retrace pas moins une esthétique de la virilité et de la violence à travers cette bande de motards. Les voici ces héros de la route, perchés sur leurs motos pétaradantes, semant la peur autour d’eux. Ils sont « racontés », lors d’un entretien entre le photographe/reporter (Mike Faist dans le rôle de Danny Lyon) et Kathy (Jodie Comer) amoureuse éperdue de Benny (Austin Butler). 

Jeff Nichols traduit cette narration en images décrivant les faits et gestes de ces Vandals de Chicago comme ils se nomment, et interprétés par des comédiens remarquables. Leur chef, Johnny (Tom Hardy), impressionnant de dureté, de force titanesque, finira par dévoiler sa sensibilité et son sens de l’honneur. C’est lui qui protège Benny, son préféré, un solitaire, d’une froide violence, casse cou séduisant que Kathy épousera. 

Tous les personnages sont souvent filmés en gros plans avec arrêts sur image (référence à la photographie ?) comme pour signifier leur violence rentrée mais aussi leurs angoisses et leurs ressentiments. Ne voit-on pas l’un d’eux déçu de n’avoir pas été retenu pour combattre au Vietnam ? C’est ainsi que le club de bikers qui au départ se voulait être un groupe d’amitiés viriles et de bagarres ludiques imbibées d’alcool, va peu à peu évoluer vers un gang criminel sous la pression notamment de l’arrivée de nouveaux membres plus jeunes, plus violents, désireux de prendre le contrôle du groupe. Johnny sera d’ailleurs assassiné par l’un des nouveaux venus. Quant à Benny, en pleurs, effondré par la mort de son idole, il retrouvera peut-être le réconfort dans les bras de Kathy. Clap de fin d’un kamikaze de la moto et du baston… Clap de fin d’un chef de bande de légende… Mais au-delà, c’est bien la fin d’un mythe que raconte cette histoire de bruit et de fureur, mais aussi du silence et de la vulnérabilité de ces héros de la route.

« The Bikeriders » : La fin d’un mythe
De Jeff Nichols
USA – 2024
Avec Austin Butler, Tom Hardy, Jodie Comer, Mike Faist
En salle depuis le 19 juin 2024
Disponible en DVD et Blu ray

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« Bravados » : Vengeance et culpabilité

12 mai 2024


Photo : Seriebox

Henry King, le presque-fondateur de Hollywood, nous livre ici un western étrange, énigmatique, où se mêlent les codes classiques et intemporels du western et des approches plus nuancées et moins manichéennes dans la représentation des personnages et des situations. Jim Douglass (Gregory Peck), propriétaire d’un ranch, poursuit quatre bandits qui auraient violé et assassiné sa femme durant son absence. Classique est en effet la volonté de vengeance de cet homme, à la determination glaciale comme on a pu le voir mille et une fois dans les westerns, ceux de Clint Eastwood par exemple. Mais là s’arrête le western conventionnel. Voici notre rancher se rendant dans une petite ville pour assister à la pendaison de quatre malfrats. Jim Douglass pense qu’il s’agit des assassins de sa femme et demande à les voir de près. Il veut vérifier s’il s’agit bien d’eux tels qu’ils avaient été décrits par l’un de ses voisins fermiers, un certain Butler. On assiste alors à une séquence d’une rare intensité au cours de laquelle Jim Douglass porte son regard d’aigle sur chacun des quatre prisonniers, debout derrière les barreaux, ahuris. La scène pourrait faire penser à une procédure d’identification, mais là ce n’est pas un témoin qui fait face aux suspects, mais déjà un justicier.

Cependant, les quatre bandits vont s’évader grâce à la complicité du faux-bourreau, emmenant avec eux une jeune femme en otage. Les habitants et le shérif se lancent à leur poursuite et Jim Douglass se joint à eux et en profite pour mener sa propre traque. Trois magnifiques séquences vont se succéder au cours desquelles Douglass abattra les trois premiers bandits. Chaque fois qu’il retrouve l’un des malfaiteurs il lui montre la photographie de sa femme incrustée dans sa montre-gousset. La caméra fixe en gros plan le visage terrifié du truand puis en une seconde, avec une rare violence Jim l’abat sans hésitation. La séquence se reproduira deux fois encore. La montre-gousset à chaque fois est l’annonce de la mort. Douglass est une sorte d’ange exterminateur brandissant sa faux comme le glaive du justicier. Cette répétition, loin de paraître fastidieuse, donne au film de Henry King une rythmique macabre, comme une « marche funèbre » au tempo accéléré. Les longues chevauchées de Jim Douglas dans des paysages grandioses filmés parfois en « nuit américaine » ne sont pas pour rien dans cette harmonie lugubre.

Quant au quatrième bandit, il échappera à la mort. Il arrive à convaincre Jim qu’il n’est pas l’assassin de sa femme, ni ses trois compères. C’était le voisin Butler l’assassin, c’est lui qui avait décrit les malfrats comme étant les assassins de sa femme. Effondré Jim Douglass se rend à l’église où il s’accuse du meurtre des trois bandits. Il est devenu « le juge, le jury et le bourreau » de trois hommes dit-il au prêtre qui lui enjoint de prier pour se repentir. Dans le plan de fin, au sortir de l’église, dans un large panoramique, la caméra balaie la foule qui l’acclame. Il a débarrassé la ville des fuyards condamnés à être pendus ! La légende passe avant les faits réels… comme dans la célèbre réplique de L’homme qui tua Liberty Valance, le « légendaire » film de John Ford « When legend becomes fact, print the legend ».

Bravados
Henry King

USA – 1958
Avec Gregory Peck
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Blue Giant » : ciné/jazz fusion

8 avril 2024


Photo : AlloCiné

De musique et de jazz, c’est bien de cela dont il s’agit dans le film de Yuzuru Tachikawa, Blue Giant. Mais aussi de dessin et de variations graphiques. Blue Giant est un film d’animation inspiré du manga éponyme de Shinichi Ishizuka. Le héros, Dai, est un jeune saxophoniste qui essaye de faire carrière dans la musique de jazz. Il fait la rencontre du jeune pianiste talentueux, Yukinori et décide, avec son ami Tamada, un batteur débutant, de monter le trio Jass. Les trois musiciens vont se démener et tout faire pour, un jour, jouer au So Blue, le club de jazz le plus réputé du Japon. 

La bande originale du film, composée par la célèbre pianiste japonaise Hiromi Uehara, elle-même doublant au piano Yukinori, sera le support sur lequel Dai va s’appuyer pour mener à bien sa formation et peaufiner sa pratique. Les scènes dans lesquelles les musiciens se produisent ont été réalisées à partir de vues réelles reconstituées grâce aux techniques de la « motion capture » qui permet d’en faire une version virtuelle.

Dai s’entraîne, s’exerce sans arrêt, tout le temps, partout, la nuit, dans le froid. On le voit jouer dans des parcs, au bord d’une rivière. Rien ne compte plus que sa passion du jazz. Le clin d’oeil à Sonny Rollins ne nous échappe pas lorsque dans les années 1960, celui-ci se retirait sur les bords de l’Est River à New York sur le pont Williamsburg et travaillait son saxophone pour explorer de nouveaux axes de créativité. 

Lors de ses performances dans des clubs au public rare ou en concert dans des salles combles, Dai enchaîne des solos exubérants pour atteindre la perfection et devenir comme il le dit, « le meilleur saxophoniste du monde ».

Les trois artistes jouent un jazz inspiré venu tout droit du Be Bop et du Hard Bop à la façon de John Coltrane, Sonny Stitt, Johnny Griffin ou encore, Sonny Rollins. Leurs improvisations montent en intensité de façon paroxystique et des improvisations graphiques magistrales viennent s’y superposer avec la même virulence. La fulgurance des explosions du saxophone ténor se dédouble en un délire de couleurs psychédéliques.

Tous les sens du spectateur sont à vif. Le corps se met en mouvement au rythme de la batterie. Les yeux suivent le tourbillon des couleurs. La puissance de la musique se déverse en émotions vertigineuses. C’est une expérience sensorielle rare qui se vit ici : on entend les images et on voit la musique. Oui, Blue Giant est une partition filmée et des images sonores !

Blue Giant
De Yuzuru Tachikawa
Japon – 2023
Musique : Hiromi Uehara
En salle depuis le 6 mars 2024
Disponible en DVD et Blu-ray

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« L’homme qui en savait trop » : Flic malgré lui

21 février 2024


Photo : SensCritique

Là encore, le maître du suspense a frappé fort ! En 1956, Hitchcock réalise L’homme qui en savait trop, le propre remake du film qu’il avait tourné en 1934 en Angleterre. Il passe de Londres à Hollywood, du noir et blanc à la couleur pour polir ainsi son intelligence cinématographique et les procédés de construction technique du suspense. L’histoire se structure de façon triangulaire : une petite famille américaine, des tueurs organisant un complot, une personnalité politique visée par un attentat. Voici donc un couple d’Américains avec un garçonnet (Hank) en visite à Marrakech au Maroc. Lui est médecin (Ben McKenna interprété par James Stewart), elle est une ancienne chanteuse (Doris Day dans le rôle de Jo). Alors qu’ils se promènent dans la foule, un homme (Daniel Gelin) s’effondre dans les bras de Ben, un poignard planté dans le dos. Il a tout juste le temps de lui glisser à l’oreille le nom « Ambrose Chappell » et l’informer qu’une personnalité politique étrangère va bientôt être assassinée à Londres. Muni de cette information énigmatique, Ben apprend que son fils Hank vient d’être kidnappé par un certain Drayton. Celui-là même que Ben avait rencontré la veille dans un restaurant et avec qui il avait sympathisé. On lui fait ainsi savoir qu’il n’a pas intérêt à révéler quoi que ce soit à la police. 

L’intrigue est dès lors située. Ben, modèle jusque là du père de famille tranquille et ordinaire, change de registre et se métamorphose en détective intrépide. Il va mener l’enquête par ses propres moyens, sans l’aide de la police, craignant pour la vie de son fils. Se succèdent alors des séquences d’un degré de suspense incroyable. Le fait de situer le début du film au Maroc, à n’en pas douter, accroit la dimension mystérieuse de l’histoire, là où dans la version de 1934, l’intrigue se déroulait en Suisse. 

Ben et sa femme Jo se retrouvent à Londres à la recherche de ce mystérieux Ambrose Chappell. Lorsque Ben découvre l’adresse, sa lente marche angoissée, silencieuse, seulement ponctuée du bruit de ses pas, la tension est à son acmé. Mais le malicieux Hitchcock met fin au suspense en nous montrant l’atelier d’un simple taxidermiste. À partir de là, le film n’est plus qu’une succession de scènes au suspense de plus en plus époustouflant. Le vrai Ambrose Chappell est en réalité une église où les comploteurs se font passer pour des religieux. Ben les reconnait mais il est assommé et perd connaissance. Il s’en sortira à temps en se sauvant de l’église par le clocher. Encore un plan très hitchcockien qui n’est pas sans rappeler le clocher de Sueurs froides,James Stewart déjà, pris de vertige assiste à la chute mortelle d‘une femme.

De son côté, Jo reconnait l’homme qui allait tirer sur le ministre étranger  lors d’un concert au Royal Albert Hall et le signale à Ben. Il était prévu que le tueur devait tirer sur sa cible au moment où les cymbales sont frappées pour masquer le coup de feu. Alors que l’orchestre symphonique dirigé par Bernard Herrmann lui-même interprète la cantate The Storm Clouds d’Arthur Benjamin, une série de champs-contrechamps portée par le crescendo de la musique balaye le triangle que forme Jo, le tueur et le ministre. De gros plans des cymbales et du canon du pistolet ponctuent la scène. L’angoisse est à son comble, lorsque Jo, apercevant le canon du tueur pointé vers sa cible, pousse un cri strident au moment même du coup de cymbale. Ben arrive à maîtriser le tueur qui fera une chute mortelle depuis sa loge. Le ministre s’en sortira avec une blessure. Pour remercier Jo et Ben de lui avoir sauvé la vie, ce dernier invite le couple à un gala à son ambassade. 

Commence alors le deuxième moment fort du film, peut-être l’une des plus admirables séquences des réalisations d’Hitchcock. Jo, ancienne chanteuse, est invitée à se produire devant l’assistance. Présumant que Hank est quelque part dans l’ambassade, elle s’installe au piano et interprète Que Sera, Sera en espérant que son fils l’entende. La chanson se transforme alors en personnage. Dans un long travelling ascensionnel, la caméra suit la chanson depuis le piano, traverse le salon, puis le hall, puis monte les escaliers, franchit un couloir et rejoint enfin la chambre où Hank est enfermé… qui répond en sifflant la chanson, se faisant ainsi localiser. Ben arrive alors à empêcher les kidnappeurs de s’enfuir avec l’enfant. Il se bat avec Drayton qui chute lui aussi dans les escaliers et meurt. Ah ces escaliers ! une signature que l’on retrouve dans la plupart des films de Hitchcock. Comme si rien ne s’était passé, la petite famille revient à l’hôtel où elle avait laissé des amis, en disant simplement qu’ils avaient été chercher Hank. Voilà bien du Hitchcock : distance, humour et … suspense.

L’homme qui en savait trop
Alfred Hitchcock
USA – 1956
Avec James Stewart, Doris Day, Daniel Gelin
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Les Chaussons rouges » : l’amour de l’art… l’amour à mort

30 janvier 2024


Photo : AlloCiné

Michael Powell, co-réalisateur des Chaussons rouges avait écrit que son film disait « d’aller mourir pour l’art ». Nous y sommes. C’est bien la grande question que pose ce film extraordinaire. Co-réalisé avec Emeric Pressburger, Les Chaussons rouges retrace l’ascension fulgurante de Victoria Page (la véritable ballerine Moira Shearer) comme danseuse étoile du ballet Boris Lermontov. Ce dernier (Anton Walbrook), inspiré de Diaghilev, l’a engagée à ce titre à la suite d’une rencontre au cours de laquelle il lui demande « pourquoi voulez-vous danser ? ». Et Victoria de répondre, caustique : « pourquoi voulez-vous vivre ? ». Le ton est donné… et le sens du film est exposé : l’amour de l’art, soit ici la passion de la danse. Mais ses exigences aussi et les sacrifices qu’elle exige. Lermontov est un directeur de ballet autoritaire, rien ne doit interférer dans la vie et la pratique de l’artiste. Il exige de Victoria qu’elle se consacre exclusivement à la préparation de son rôle. « Seule la musique compte, rien que la musique » lui impose-t-elle. Elle aussi, emplie de passion ardente pour la danse, fait preuve d’une exigence acharnée et d’une discipline sacrificielle, jusqu’au triomphe de la présentation du ballet à Monte-Carlo et son ovation éclatante.

Le ballet, (inspiré d’un conte d’Andersen) composé et dirigé par Julian Craster (Marius Goring), est le moment le plus prodigieux et éblouissant du film. 17 minutes d’un spectacle total. Un ballet classique certes, mais les élans fougueux de Victoria, le décor féérique, des couleurs magnifiques, un corps de ballet dynamique et un espace scénique tout en mouvement situent bien le film dans la lignée des comédies musicales américaines telles celles de Vincente Minnelli (Un Américain à Paris) ou de Stanley Donen (Chantons sous la pluie). Tout y est : une église, des boutiques, un musée, un cirque, la maison où vit la danseuse… Et des séquences fantastiques et magiques où Victoria vole, se transforme en oiseau, tourbillonne avec des figurines en papier. Des plans se superposent de manière onirique où Victoria se voit dans la vitrine du cordonnier. Et où le feu et la mer viennent submerger la scène. Julian, qui commence à tomber amoureux de Victoria, lui avait d’ailleurs assuré, lors d’une répétition, que la musique permettait de voler comme les oiseaux dans le ciel. La fluidité et le rythme étourdissant des danseurs est un ravissement et contraste par moments avec la lenteur et la solennité de quelques autres. Cette séquence où l’on voit les paroissiens, tout de noir vêtus, sortir de l’église nous fait penser immanquablement à Pina Bausch et à son fameux Café Müller.

Julian et Victoria se rapprochent l’un de l’autre. Accoudés à un balcon donnant sur la voie de chemin de fer, Ils envisagent avec bonheur le succès qui ne manquera pas de se produire lors de la représentation du ballet. Ah ce balcon… est-il annonciateur de quelque mauvais présage ? En effet, l’agitation joyeuse du ballet et de l’après-ballet va vite retomber. Lermontov apprend que Julian et Vicky s’aiment. Il ne supporte pas que ses artistes fassent passer leur vie privée avant leur travail et décide de les congédier. Plus tard il se ravise et fait revenir Victoria. Celle-ci, ravie, accepte de pouvoir assouvir à nouveau sa passion et remettre ses chaussons rouges. Julian lui, insiste pour qu’elle renonce à la gloire et le suive dans la poursuite de sa carrière, sans succès. Il la quitte alors la laissant éperdue et déchirée entre sa passion artistique et son amour pour lui. Hésitante, tiraillée par le conflit de ses sentiments, dans un brusque mouvement, elle court à la poursuite de Julian. La caméra, dans un superbe travelling arrière, la filme descendant les escaliers d’un jardin en courant, volant presque, butant sur ce funeste balcon, pour se jeter sur la voie ferrée. Lermontov annonce au public que Victoria ne dansera pas et ne dansera plus, seuls les chaussons rouges reprendront la danse animés par Grisha (le danseur Léonide Massine), le cordonnier magicien qui les a façonnés. Victoria meurt pour sa passion de la danse… ou pour l’amour de Julian ? Pour l’Art ou pour l’Amour ? Les Chaussons rouges, un film flamboyant, comme le rouge éblouissant  des chaussons ! Un film virevoltant comme une flamme où viennent se consumer l’amour et la passion de l’art.

Les chaussons rouges
Michael Powell et Emeric Pressburger
Royaume Uni – 1948
Avec Moira Shearer, Anton Walbrook, Marius Goring, Léonide Massine
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Les Eastwood » : Paroles et musique

10 décembre 2023


Photo : Visbooks

Parmi les nombreux concerts donnés cet été et cet automne en France par le contrebassiste Kyle Eastwood, retenons celui du 26 novembre 2023 à Antony au théâtre Firmin Gémier. Pendant près de deux heures Kyle a pu interpréter la plupart des morceaux de musique des films de son père, Clint Eastwood. La projection en arrière plan d’un entretien avec Clint Eastwood accompagnait le concert. A Antony, Kyle Eastwood était avec son quintet, sans orchestre symphonique, ce qui lui donnait une allure plus décontractée, plus spontanée. C’était un plaisir d’entendre le père et le fils évoquer avec humour et nostalgie le travail musical de chacun des films dont la bande originale était jouée sur scène.

Le quintet était composé de Kyle à la contrebasse et à la basse; d’Andrew McCormack au piano, d’un dynamisme époustouflant; de Quentin Collins à la trompette et au bugle; de Brandon Allen aux sax et de Chris Higginbottom à la batterie, excellent mais abusant peut-être un peu trop du rim click*. On a pu ainsi se replonger dans l’atmosphère des films de Clint Eastwood.

Clint Eastwood a fait de la musique très jeune. Sa mère jouait du piano. Un jour raconte-il, il a vu un type dans une fête jouer un genre de boogie. « Je peux le faire aussi » se dit-il. Il est la première personne que son fils Kyle a vu jouer. C’est avec lui aussi que Kyle a assisté à son premier concert, le Count Basie Big Band avec le chanteur Joe Williams. Kyle Eastwood a commencé d’abord au piano mais il s’est ensuite orienté vers la contrebasse et la basse qu’il a appris à jouer avec le bassiste français Bunny Brunel.

Tout au long du concert les deux Eastwood s’entretiennent sur les films dont le quintet interprète la BO. Pour L’inspecteur Harry réalisé par Don Siegel en 1971, Clint Eastwood avait fait appel à Lalo Schifrin, qu’il rappellera pour Magnum Force de Ted Post en 1973. Kyle appréciait notamment les lignes de basse de la musique de Schifrin. 

Pour La Sanction que Clint Eastwood a réalisé en 1975, ce dernier avait demandé à John Williams de composer une musique de jazz pour la deuxième partie du film qui se situe en Amérique et une musique plus classique pour la première partie, qui elle se situe en Europe. C’est ce que Williams a fait et qui fait dire à Kyle Eastwood qu’il « aime bien ce mélange classique/jazz ». C’est d’ailleurs ce qu’il a fait dans son dernier album car précise-t-il « ça convient très bien à un quintet de jazz ».

Avant que la musique ne reprenne, le père et le fils échangent leur souvenirs sur le tournage de Impitoyable (1992) et évoquent le compositeur et saxophoniste Lennie Niehaus qui en a fait la musique. Kyle rappelle que Lennie a composé 15 BO pour Clint Eastwood. Lors de son service militaire, Clint avait rencontré Lennie en 1951 dans un bar alors qu’il était serveur. Quelques années après Lennie Niehaus compose la musique de films remarquables de Clint Eastwood dont Bird en 1988, Impitoyable en 1992, Un monde parfait en 1993, Sur la route de Madison en 1995 ou encore Minuit dans le jardin du bien et du mal en 1997. 

Pour Lettres D’Iwo Jima (2006) Clint Eastwood avait demandé à Kyle d’écrire la musique. Il avait appris que des enfants avaient été enregistrés sur des disques 78 tours, diffusés à la radio probablement pour motiver les troupes. Il a demandé à Kyle si l’on pouvait retrouver ces enregistrements. A partir de là, Kyle et Michael Stevens s’en sont inspirés et les ont travaillés en leur donnant un accent plus occidental. Michael Stevens avait entre autres composé en 2008 la musique de Gran Torino et de Invictus en 2009. Justement, Gran Torino est un film marquant pour Kyle Eastwood. Il en a écrit la musique avec Michael Stevens à partir d’une mélodie écrite par Clint Eastwood lui-même. Une fois retravaillée, la mélodie est devenue une chanson écrite, jouée au piano et chantée par Jamie Cullum. « C’est ce qu’on entend à la fin du film », conclut Kyle.

Pour la musique de Bird, tourné en 1988, Clint Eastwood a usé d’une manipulation technique. Les solos de Charlie Parker ont été retenus, mais la section rythmique a été retirée, et de nouveaux musiciens ont constitué l’orchestre. « On a eu le vrai Charlie en éliminant tout le reste » se réjouit Clint Eastwood.

Le concert se termine par les trois films de Sergio Leone dont la musique a été composée par Ennio Morricone : Pour poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965) et Le bon, la brute et le truand (1966). C’est la première fois que l’on incorpore des effets sonores dans un film. Peu de compositeurs l’avaient fait à l’époque, précise Clint Eastwood et Kyle d’ajouter « C’était novateur, on n’avait jamais vu de westerns avec des musiques pareilles ». Quand Pour une poignée de dollars est sorti, Clint Eastwood raconte que « Ça a changé la donne. Je pense que ça a vraiment revigoré le genre du western. La musique de Morricone a beaucoup participé à ce renouveau ». Kyle Eastwood renchérit : « Ça démontre bien l’importance de la musique dans un film ».

Au rappel, le quintet, mettant en valeur la contrebasse de Kyle Eastwood, a joué La panthère rose de Henry Mancini, pour la plus grande joie de la salle. Une tournée du quintet de Kyle Eastwood est prévue en France en 2024. A ne rater sous aucun prétexte !

* rim click : technique consistant à frapper le cercle métallique de la caisse claire

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« Juge et hors-la-loi » : Entre bouffonnerie et désillusion

30 novembre 2023


Photo : La Filmothèque

Juge et hors-la-loi est encore un film signature de John Huston, un modèle de son savoir-faire de cinéaste, une projection de ce qu’il a toujours été : un baroudeur hollywoodien. Avec ce western picaresque qu’il tourne en 1972, il rend un hommage appuyé à tous ces aventuriers, sauvages et humains à la fois, tel ce fameux juge Roy Bean. Le voici arrivant sur son cheval, dans un magnifique plan d’ouverture, dans la petite ville de Vinegaroon à « l’ouest de Pecos », après avoir échappé à la pendaison. C’est Paul Newman qui l’incarne, tantôt hilare, tantôt teigneux, et qui s’attribue le titre de juge, défenseur de la loi et de l’ordre ! Muni d’une Bible, d’un code civil de 1000 pages et d’un revolver, il mène ses ennemis et les malfaiteurs à la potence avec sa corde de pendu, sans aucune autre forme de procès et de jugement. Non content d’appliquer la loi à sa façon, il ouvre un saloon où il se fait une petite fortune et met dans sa poche les amendes qu’il inflige aux condamnés. 

Dans sa démesure, il fait de cette petite ville de l’Ouest une cité industrielle et commerciale grâce notamment à l’arrivée du chemin de fer et à l’exploitation du pétrole. Il la baptisera Langtry du nom de la belle actrice Lillie Langtry (la toujours merveilleuse Ava Gardner) dont il était amoureux éperdu et dont le portrait tapissait les murs du saloon. Lui le facétieux et explosif maître de la ville, se fera tout petit et timide lorsqu’il aura l’occasion de rencontrer sa diva, qu’il ne rencontrera d’ailleurs pas, dans le théâtre de la grande ville voisine. On est un peu peiné pour lui lorsqu’il se fait plumer pour essayer d’avoir une place dans le théâtre et voir Lillie. La caméra de John Huston le montre alors penaud, humilié et désillusionné. De retour à Langtry il se trouve confronté à des avocats corrompus qui veulent faire main basse sur la ville. Vaincu, il quitte la ville et disparait. 

Le film prend alors une tournure dramatique impressionnante et fabuleuse. Après une absence de 20 ans, alors que tout le monde le croyait mort, Roy Bean réapparaît. Dans une scène foudroyante d’une violence sans borne, filmée en plans saccadés, le juge laisse éclater sa vengeance. Il brûle toute la ville et détruit tous les symboles de sa modernité, pétrole et chemin de fer, magnats et édiles politiques confondus. Puis il disparait au milieu du chaos. Mais l’Ouest ne reviendra pas. On passe alors du tragique à l’émotion. Le spectateur reprend son souffle lorsqu’à la fin on remet à Lillie Langtry de passage dans la ville, la lettre que Roy Bean lui avait écrite et qu’il n’avait jamais envoyée. Lillie se retire de la foule et, dans un somptueux plan rapproché, lit en silence la lettre, les larmes retenues sur ce beau visage qu’est celui d’Ava Gardner. Juge et hors-la-loi, un film hustonien en diable.

Juge et hors-la-loi
John Huston
USA – 1972
Avec Paul Newman et Ava Gardner
Disponible en DVD et Blu-ray

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« Les Sept Mercenaires »  : Ballet pour 7 fusils et une mitrailleuse

28 septembre 2023


Photo : SensCritique

C’est une véritable chorégraphie au son des sifflets et des pétarades de révolvers et de fusils que nous livre ici Antoine Fuqua. Oui, dans ce remake du film Les Sept Mercenaires de John Sturges réalisé en 1960, on ressent bien l’influence de Peckinpah, de Tarantino ou de Michael Mann. Tout y est : la violence des scènes d’action ou la confrontation courageuse d’hommes au passé trouble face à la mort. Ici, comme dans l’original de Sturges, les mercenaires, emmenés par un Denzel Washington convainquant, luttent pour venir en aide à la population d’une petite ville, en l’occurrence la ville de Rose Creek en 1879. La population est menacée par l’affairiste Bogue qui terrorise les habitants dans le but de leur ravir leurs terres. Dès le début du film, ils sont victimes d’une violente attaque, l’église est brulée, des hommes sont abattus lors d’une fusillade. Emma Cullen dont le mari a été assassiné par les hommes de Bogue fait appel au chasseur de primes Sam Chisholm (Denzel Washington). Ce dernier et ses recrues acceptent de s’engager et vont peu à peu fraterniser avec la population. Dans l’attente d’une éminente attaque de Bogue et ses équipes, on les voit entrainer les hommes au maniement des armes, creuser des tranchées, monter des barricades… dans une bonne humeur et un désintéressement non exempt d’une volonté de se racheter de leurs méfaits passés.
Peu après, des centaines d’hommes envahissent la ville et vont se mesurer à la puissance des mercenaires. Commence alors une séquence d’une violence extrême formant comme un tableau animé, une chorégraphie endiablée… un spectacle époustouflant. Les références cinématographiques ne manquent pas. On pense à La Horde sauvage de Sam Peckinpah ou encore à Heat de Michael Mann. Ça tire, ça siffle de tous les côtés. Avec un dextérité inouïe, les mercenaires se lancent les fusils comme dans un match de rugby. Leurs révolvers crachent les balles à droite, à gauche, en haut, en bas, en tirs croisés. Un véritable feu d’artifice, un festival explosif sur un immense plateau. Mais que de morts et de blessés ! La mitrailleuse de Bogue s’en mêle accentuant le carnage, jusqu’au sacrifice de l’un des mercenaires qui détruit la mitrailleuse avec son bâton de dynamite. Bogue s’en sort et vient affronter Sam Chisholm en duel. Ce dernier perd l’avantage mais sera sauvé par Emma Cullen qui, à la dernière seconde, abat Bogue d’une balle. Comme le faisait déjà Grace Kelly dans Le train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952).
Fin de partie, la ville est sauvée et débarrassée de cette bande d’affairistes prédateurs grâce au courage des mercenaires et de la population. Les trois mercenaires survivants, filmés en plongée comme des héros, quittent la ville acclamés par la population.
Par ce film, Antoine Fuqua ne se prive pas de lancer ses flèches contre un certain capitalisme sauvage dont Bogue est la métaphore. Face à cette Amérique du profit et de l’exploitation, le casting du film magnifie une Amérique de la fraternité interraciale. Il y a bien parmi les sept mercenaires, un amérindien, un asiatique et un afro-américain en la personne de Sam Chisholm.
Sans avoir « l’élégance » du film original de Sturges, Les Sept Mercenaires d’Antoine Fuqua est un film réjouissant.

Les Sept Mercenaires
Antoine Fuqua
USA/Australie – 2016
Avec Denzel Washington, Chris Pratt, Ethan Hawke
Disponible en DVD et Blu-ray

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